Les soleils artificiels, ou réacteurs à fusion nucléaire, prennent généralement la forme d’un tokamak. C’est le cas d’ITER, l’un des plus grands projets scientifiques au monde, que nous avons visité dans ce documentaire Numerama.

Le projet semble trop vertigineux pour exister, et pourtant, nous l’avons visité. Dans notre nouveau documentaire, au sud de la France, au cœur du paysage montagneux de Saint-Paul-Les-Durance, on trouve ITER, un « soleil artificiel », surnom désignant un réacteur à fusion nucléaire. Cette source d’énergie potentielle serait immense, rentable et décarbonée. En cours de construction et fruit d’une collaboration entre 35 pays, le réacteur ITER devra atteindre 150 millions de degrés Celsius. Il prend une étonnante forme de donut : c’est un tokamak. Mais comment ça marche, un tokamak ?

Notre documentaire dans les coulisses hors-du-commun d’ITER est à découvrir sur YouTube :

La petite histoire du « tokamak »

Contre toute attente, « tokamak » est un acronyme, issue de l’expression russe : toroidalnaïa kamera s magnitnymi katouchkami (to-ka-ma-k). Ce qui signifie « chambre toroïdale avec bobines magnétiques ». Le mot vient du russe, car le concept même du tokamak a été inventé en Russie, par deux physiciens, Igor Tamm et Andreï Sakharov, durant les années 1950. L’expression a été inventée par Oleg Lavrentiev, qui a également contribué aux recherches sur la fusion nucléaire.

Le principe du tokamak, longuement étudié à travers le monde, est aujourd’hui considéré comme le plus prometteur pour développer un réacteur à fusion nucléaire.

Comment démarre la fusion dans un tokamak ?

Pour commencer à comprendre comment marche un tokamak, il faut décomposer sa signification — « chambre toroïdale avec bobines magnétiques » — en deux :

  • Chambre toroïdale : un « tor » est un anneau. On parle de « chambre toroïdale » car il s’agit d’une chambre à vide (creuse) en forme d’anneau, ce qui lui vaut aussi le surnom de « donut », puisque vu de haut, il en prend exactement la forme. La réaction de fusion nucléaire a lieu au sein de la chambre à vide.
  • Bobines magnétiques : dans un tokamak, la réaction de fusion est obtenue et maintenue grâce à un champ magnétique extrêmement puissant, provenant de l’extérieur et du centre. Ce qui est obtenu grâce à des bobines magnétiques, sortes de giga aimants.
Le tokamak d'ITER, vu du haut. En forme de donut. // Source : ITER
Le tokamak d’ITER, vu du haut. En forme de donut. // Source : ITER

La réaction de fusion nucléaire au sein d’un tokamak se déroule en plusieurs étapes. Prenons l’exemple d’ITER :

  • On injecte quelques grammes — sous forme de gaz — d’un mélange de deux isotopes de l’hydrogène : du deutérium et du tritium. Ce sont des atomes aux noyaux dits « légers ».
On injecte un mélange de deux isotopes : du deutérium et du tritium. // Source : Nino Barbey pour Numerama
On injecte un mélange de deux isotopes : du deutérium et du tritium. // Source : Nino Barbey pour Numerama
  • Lorsque le tokamak se met en marche, ces isotopes sont chauffés et mis sous une pression extrême par la combinaison de plusieurs systèmes (un intense courant et des systèmes de chauffage extérieurs, grâce à des micro-ondes ou des faisceaux de particules).
  • Ces conditions créent un nouvel état de la matière — un plasma dense et chaud — qui a une particularité : les noyaux d’atomes peuvent se rencontrer. C’est là qu’intervient la fusion nucléaire : cette rencontre génère des noyaux d’atomes plus lourds, de l’hélium. Un processus physique similaire à celui au cœur des étoiles. Et comme dans les étoiles, cela libère une quantité colossale d’énergie.
Le plasma circule au sein de la chambre à vide du tokamak. // Source : ITER
Le plasma circule au sein de la chambre à vide du tokamak. // Source : ITER

À ITER, ce plasma devra monter à 150 millions de degrés, une température dix fois supérieure à celle de notre Soleil. « C’est pas uniquement la température qui compte », nous explique le physicien Alain Bécoulet, chef scientifique du projet, dans notre documentaire. « C’est la densité, multipliée par la température, multipliée par le temps de confinement de l’énergie : la qualité d’isolement du milieu. Le soleil a une qualité d’isolement monstrueuse. Il a des temps de confinement de l’énergie de plusieurs centaines de milliers de millions d’années. » Le Soleil a donc une densité si élevée qu’il n’a pas besoin d’une température si élevée que cela pour que les réactions aient lieu. Tandis que, nous, sur Terre, une température trop basse ne permettra pas de générer assez de réactions : il nous faut une température très, très élevée.

En raison de sa chaleur extrême, le plasma ne doit jamais toucher les parois. C’est pour cela qu’un tokamak fonctionne à base de confinement magnétique : les aimants surpuissants, autour et au centre, maintiennent le plasma en suspension, ils le font tourbillonner constamment au sein de la chambre à vide, raison pour laquelle celle-ci est en forme d’anneau (à l’image d’un accélérateur de particules).

Comment on récupère l’énergie de ce soleil artificiel ?

Pour supporter de telles températures, non seulement le plasma est sculpté au sein de la chambre à vide, mais l’ensemble est aussi enfermé dans un cryostat, une structure maintenue à -200°C ; en plus d’un bouclier thermique en son centre. Dans ce cas, comment peut-on espérer utiliser l’énergie émise par les réactions de fusion ?

Ce sont les neutrons. Ces derniers, libérés lors de la métamorphose du deutérium-tritium en hélium, ont un atout : ils ne sont pas chargés. Les aimants ne peuvent pas les retenir avec le reste. Ils s’échappent donc en bombardant la paroi. Pas moins de 80 % de l’énergie produite s’en va avec ces neutrons.

La réaction de fusion bombarde les parois de neutrons, l'énergie s'en va avec eux, c'est ainsi qu'on peut la récupérer, via les parois. // Source : Nino Barbey pour Numerama
La réaction de fusion bombarde les parois de neutrons, l’énergie s’en va avec eux, c’est ainsi qu’on peut la récupérer, via les parois. // Source : Nino Barbey pour Numerama

En bombardant la paroi, la chaleur s’y accumule. Cette chaleur peut être récupérée, pour alimenter en vapeur des turbines, qui elles-mêmes sont censées permettre d’obtenir de l’électricité. Le projet ITER entend multiplier par 10 l’énergie de départ : au sein du tokamak, il faudra que la réaction de fusion s’autoentretienne, afin que le rapport coût-bénéfique énergétique soit rentable.

Le premier allumage devrait avoir lieu au cours de la décennie 2030. Si ITER est le plus gros soleil artificiel — et le plus gros tokamak — au monde, ce n’est pas le premier du genre. D’autres sont actuellement en activité et permettent justement de mieux comprendre comment maîtriser et améliorer une telle machine.

Le tokamak ITER en chiffres

Les chiffres du tokamak ITER permettent de comprendre le vertige d’un tel projet :

  • La température du plasma sera de 150 millions de degrés ;
  • Le cryostat est maintenu à -200 degrés ;
  • En comptant le cryostat, la machine fait 60 mètres de haut sur 30 mètres de large ;
  • Ce sont 840 mètres cubes de plasma à 150 millions de degrés qui doivent être sculptés en continu par les aimants ;
  • Le tokamak pèse près 30 000 tonnes ;
  • Le complexe ITER dans son ensemble s’étend sur 42 hectares ;
  • La construction a commencé en 2010 et devrait s’achever autour de 2030.

La France du futur, épisode 2

« ITER, le soleil artificiel dont l’humanité a besoin ? » est le deuxième épisode de notre série documentaire La France du futur, avec le soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée. Un épisode de Marcus Dupont-Besnard et Louise Audry, avec la collaboration de Nino Barbey et la voix de Benoît Allemane.

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