5G : Huawei met au point un service de drones connectés pour l’Europe

Encore en phase pilote, le projet consiste dans un premier temps à fournir un diagnostic précis des cultures agricoles, au moyen de drones qui filment en haute résolution des champs et envoient leurs images à une IA en cloud.

Cela sonne comme une idée de startup. L’équipementier Huawei se lance en Europe dans la mise au point d’un service de drones d’observation qui doit permettre à des agriculteurs, voire à d’autres secteurs, d’analyser en temps réel une situation selon des prises de vue sur le terrain.

Techniquement, il s’agit d’équiper des drones conventionnels de routeurs Huawei pour expédier le flux continu de leurs vidéos très haute résolution, via un réseau mobile 5G. À l’autre bout de la communication, un moteur d’intelligence artificielle installé dans un datacenter régional doit décrypter les images en une fraction de seconde et livrer une analyse sur l’écran de l’utilisateur.

« La perspective de cette offre est ici de résoudre le problème des prix qui explosent dans l’agriculture et la viticulture », explique Thomas Gegenhuber, membre du conseil municipal de Linz, localité rurale autrichienne qui héberge le domaine agricole de Nussböckgut. C’est là que Huawei a lancé les premières expérimentations avec son partenaire local, Dronetech, l’un des plus importants fournisseurs autrichiens de services à base de drones.

« Les méthodes que nous utilisons depuis cent ans ne fonctionnent plus. Nous devons réduire massivement l’utilisation des pesticides et des engrais, améliorer les récoltes tout en contenant le coût de la main-d’œuvre. Dans ce contexte, la connaissance du champ est essentielle. Ne serait-ce que pour savoir où il faut arroser en cas de pénurie d’eau », enchaîne Michaela Griesser, professeure à l’université des ressources naturelles et des sciences de la vie de Vienne.

« Avec des images assez précises pour surveiller la croissance des plants d’asperges (qui n’ont pas de feuilles) et pour détecter les petits insectes, vous n’avez plus besoin d’envoyer des hommes et des femmes parcourir sans relâche des dizaines d’hectares. Avec un système qui prédit les récoltes, vous optimiserez l’utilisation de l’eau et des produits chimiques », ajoute Thomas Gegenhuber.

L’Autriche n’a pas été choisie par hasard. Ce pays européen est parmi les seuls à avoir fait le choix – contesté ailleurs – de doter son territoire en antennes 5G majoritairement motorisées par des équipements Huawei. Pour les autorités autrichiennes, il s’agissait de la seule option possible pour obtenir une couverture 5G nationale d’ici à 2027, soit trois ans avant les objectifs fixés par la Commission européenne. Ce faisant, l’Autriche espère se placer parmi le tiercé de tête des pays de l’EU en matière d’économie numérique.

Poser un diagnostic très précis sur l’état des cultures

L’expérimentation a démarré il y a un an. Dronetech utilise un drone avec deux caméras, l’une en très haute résolution et l’autre en infrarouge. En quelques minutes, le drone survole les cultures et compose petit à petit une photographie aérienne extrêmement précise, avec la température du sol en surimpression. Selon Felix Müller, le directeur général de Dronetech, il faut compter 70 Go pour une image qui couvre 10 hectares.

Photo de drone Huawei 5G survolant un champ.
Le drone survole le champ pour en faire une photo haute résolution.

« Cette image, sur laquelle vous pouvez zoomer, permet de poser un diagnostic sur les cultures sans devoir aller inspecter chaque asperge de votre champ. L’application montre la vitalité de chaque plant pour une intervention chirurgicale. L’enjeu à terme est de réduire par deux l’utilisation des pesticides. Mais pour l’heure, savoir où intervenir a permis au domaine de Nussböckgut d’augmenter sa production de 15 % en un an, soit 400 kg d’asperges en plus par hectare », explique Felix Müller.

Pour l’instant, l’agriculteur analyse lui-même les détails sur son écran, sans plus avoir besoin de se lever de son siège. Dans cette expérimentation, il définit sur son application les plants à arroser et un second drone s’envole pour aller les pulvériser avec le contenu de ses jerrycans. Il n’est pas certain que cette seconde étape, plus spectaculaire qu’autre chose, perdure. La seconde phase du projet, celle qui reste à développer, va surtout concerner l’intelligence artificielle censée livrer un diagnostic encore plus précis que celui de l’agriculteur.

« Notre objectif est d’aider les agriculteurs en automatisant autant que faire se peut cette analyse. Nous avons une division de R&D en Turquie qui planche sur tous les éléments relevés par les images prises ici en Autriche et qui met au point un moteur d’IA dédié aux besoins des agriculteurs », indique Hieronim Piotrowski, qui encadre chez Huawei les projets professionnels autour de la 5G.

« Nous n’en sommes qu’aux prémices. Pour l’heure, nous améliorons notre compréhension des besoins des agriculteurs et nous peaufinons nos algorithmes dans ce sens. Nous estimons que notre moteur d’intelligence artificielle sera pleinement entraîné d’ici à un an. »

Quelle est la stratégie de Huawei ?

Avant de détailler la technique, Hieronim Piotrowski explique qu’il s’agit pour Huawei de bâtir une offre commerciale inédite à l’échelle européenne.

« Notre idée est de proposer une solution qui soit utilisable par tous les agriculteurs. Il faut donc qu’elle soit aussi accessible, aussi simple et aussi bon marché que possible. Seul le cloud nous le permet. Il est en effet totalement inenvisageable, en termes de prix, d’infrastructures, d’installer les serveurs nécessaires à un moteur d’IA chez tous les agriculteurs. »

« Ensuite, le modèle économique que nous imaginons sera plutôt basé sur les partenariats. Nous comptons nous associer avec des constructeurs de drones par régions, auxquels nous fournirons donc l’équipement 5 G. Ensuite, si les agriculteurs sont dans une région où ce service existe, ils pourraient joindre un portail, à partir duquel ils pourraient commander la visite d’un drone à une certaine date. »

Le responsable de Huawei déroule le scénario. Après la commande passée sur le portail, le prestataire amènerait ses drones sur site et les ferait décoller au moment de la journée où il jugera que la lumière est la plus adéquate pour les prises de vues. L’analyse terminée au bout de quelques dizaines de minutes, il n’y aurait plus qu’à intervenir selon les conseils précis du logiciel. « Ce serait très simple comme démarche, les agriculteurs n’auraient aucune technologie à acheter. »

Hieronim Piotrowski ne veut pas se prononcer sur une date de disponibilité. « Nous n’en sommes qu’au pilote. Il faudra du temps pour construire une offre qui soit disponible partout en Europe. À mon avis, cela va commencer ici, dans cette région d’Autriche, puis cela grandira au fur et à mesure, au rythme d’autres régions dans d’autres pays d’Europe. »

« Ensuite, il faudra sans doute attendre des conjonctures favorables pour déployer les offres commerciales de-ci, de-là. À commencer bien évidemment par une bonne couverture 5G sur la zone par les opérateurs. Nous sommes les premiers à vouloir que cela aille vite. Mais c’est une offre très complexe à mettre en œuvre. »

Huawei serait d’autant plus pressé de concrétiser l’offre que l’équipementier imagine déjà nombre d’opportunités commerciales. « Ce projet est déclinable à d’autres domaines d’activité. Pour commencer, il est transposable à des robots terrestres qui pourraient aller contrôler de plus près des installations dangereuses, par exemple dans l’industrie pétrochimique, dans des mines, pour aller inspecter des fuites de gaz. Mais aussi, pourquoi pas, pour investiguer de plus près la zone d’un champ où les drones volants auront identifié un problème, ou encore envoyer un tracteur autonome arroser juste la partie qui mérite de l’être. »

Pourquoi installer un routeur 5G sur le drone ?

Sur le plan technique, il s’agit d’abord de connecter le drone à Internet. « Nous le faisons via le réseau cellulaire 5G de l’opérateur télécom local, en l’occurrence Magenta Telekom, la marque de Deutsche Telekom en Autriche. À ce stade, nous apportons juste les terminaux 5G qui permettent au drone de communiquer avec une antenne de Magenta Telekom », précise Hieronim Piotrowski.

Photo d'un drone avec posé dessus un routeur 5G Huawei
Un routeur 5G de Huawei sur le drone

En guide de terminal 5G, le routeur installé sur les drones est ce type d’appareils que Huawei propose d’ordinaire aux entreprises pour les connecter à Internet via un réseau cellulaire 5G, quand aucune communication terrestre n’est disponible. De manière assez étonnante, ce routeur ne connecte ici qu’un seul appareil à Internet – le drone – alors qu’il est conçu pour fédérer toutes les machines d’un réseau local.

« En général dans les projets d’IoT, on pense à équiper l’appareil connecté, d’un simple smartphone. Tout est possible. Mais cela dépend de ce que vous voulez faire. Ici, nous avons besoin de communiquer en temps réel des images en très haute résolution, d’une part, c’est-à-dire avec une connexion extrêmement stable. Et, d’autre part, nous avons besoin de le faire via des antennes qui ont été disposées pour offrir une couverture optimale à des utilisateurs au sol, pas à des appareils qui oscillent entre 20 et 50 mètres d’altitude. »

« Dans de telles conditions, vous ne pouvez utiliser ni la 4G ni le Wifi qui ne sont pas assez stables. Quant à la communication 5G, elle n’est possible qu’avec un routeur 5G qui a beaucoup plus d’électronique qu’un simple smartphone 5G. Quand vous vous filmez avec votre téléphone, s’il y a des pertes d’images, des pixélisations, des saccades, ce n’est pas un drame. Mais ici, il s’agit d’analyser en temps réel des images avec la plus haute précision possible », assure notre interlocuteur. Et de souligner que l’électronique du routeur dispose de circuits qui corrigent la déformation des ondes, comme cela est le cas en altitude.

Selon lui, la validation d’un tel dispositif de communication revêt en soi une importance économique : « c’est un savoir-faire très important, dans le sens où les drones sont appelés à être de plus en plus utilisés, y compris dans le domaine des secours, de l’analyse aérienne d’une chaîne de production, etc. »

Des opérateurs télécoms et de datacenters dans la boucle

« C’est important, notamment pour le GDPR et la souveraineté des données européennes que nous voulons absolument respecter. Mais nous verrons comment les opportunités se présentent. »
Hieronim Piotrowski5G Solutions Manager (CEE & Nordic Region), Huawei

Concernant la connexion à Internet, la solution communique pour le moment comme le ferait n’importe quel téléphone individuel, via le réseau public de l’opérateur. S’il est exclu d’installer sur site toute l’infrastructure d’un réseau 5G privé, Dronetech n’exclut pas de faire entrer l’opérateur dans la boucle économique, afin qu’il lui dédie des canaux privés. Cette technique, appelée « slicing » est propre à la 5G. Elle permet de garantir une bande passante ainsi que l’étanchéité des communications parmi le flot de communications des autres utilisateurs connectés à la même antenne.

Reste la mise à disposition du service en cloud. Huawei affirme qu’il préférerait installer le service sur ses propres serveurs, qu’il ferait héberger dans des datacenters au plus proche des régions d’Europe où se trouvent ses utilisateurs. « C’est important, notamment pour le GDPR et la souveraineté des données européennes que nous voulons absolument respecter. Mais nous verrons comment les opportunités se présentent. Nous pourrions faire héberger notre service sur les infrastructures d’un cloud public le cas échéant », commente Hieronim Piotrowski, en se refusant de citer quelque partenaire hébergeur que ce soit.

Selon des bruits de couloir tombés par inadvertance dans les oreilles du MagIT lors de l’événement, les serveurs de Huawei pourraient être hébergés dans les points de présence d’OBS, soit physiquement sous la forme d’un cloud privé, soit virtuellement sur les instances de Flexible Engine, le cloud d’OBS. Pour mémoire, OBS se targue d’avoir installé ses infrastructures dans une trentaine de datacenters en propre ou en colocation un peu partout en Europe. Infrastructures qui, rappelons-le, ont été fournies à Orange par… Huawei.  

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