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Logiciels libres dans l’Administration : le gouvernement a son plan d’action

Le gouvernement a exposé son plan d’action pour « accélérer » l’adoption des logiciels libres du partage des données et des algorithmes au sein de l’Administration. La feuille de route entend structurer des initiatives existantes sans imposer leur recours.

Le 10 novembre, Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publique, a profité de l’Open Source Experience – salon organisé au Palais des Congrès de Paris par le pôle Systematic – pour présenter « le plan d’action du gouvernement en matière de logiciels libres et communs numériques dans l’Administration ».

Un peu de contexte. Le 23 décembre 2020, la mission conduite par le député LREM de la Ve circonscription des Côtes-d’Armor, Éric Bothorel, remettait son rapport adressé au Premier ministre Jean Castex. Le document, intitulé « Pour une politique publique de la donnée », dressait un constat sans fard sur le recours à l’open source ainsi que l’ouverture des données et des algorithmes au sein de l’Administration.

Il démontrait, exemples à l’appui, un ralentissement du partage des données et de l’adoption du libre dans les sphères publiques, et ce malgré la loi République numérique promulguée en 2016 qui entoure ces deux aspects. La mission Bothorel avait alors effectué 37 recommandations pour mieux faire respecter ce cadre législatif.

Le document avait été reçu par Jean Castex qui avait chargé la ministre de la Transformation et de la Fonction publique de « coordonner les suites données par le Gouvernement aux travaux de M. Éric Bothorel ». Le 27 avril, le Premier ministre signait la « circulaire n° 6264/SG relative à la politique publique de la donnée, des algorithmes et des codes sources », impliquant une « ambition renouvelée » en la matière, traduite par un ensemble d’exigences portées à la connaissance des ministères.

Un plan d’action et trois axes

Dont acte. Lors de son allocution du 10 novembre 2021, Amélie de Montchalin a présenté un plan « simple » visant à répondre à « trois enjeux essentiels » en matière d’open source au sein de l’Administration. En charge de ce programme, le pôle d’expertise du logiciel libre du département Etalab de la DINUM aura pour mission de :

  1. « Renforcer le recours aux logiciels libres et aux communs numériques dans l’administration,
  2. Développer et accompagner l’ouverture des codes sources publics,
  3. S’appuyer sur les logiciels libres et sur les communs numériques pour renforcer l’attractivité de l’État-Employeur ».

Sur Twitter, Éric Bothorel a salué l’intervention d’Amélie de Montchalin en la remerciant de son soutien « à traduire nombre de recommandations du rapport de décembre et à poursuivre la transformation de la Fonction publique selon [sa] propre feuille de route ». Pour rappel, les membres de la mission Bothorel avaient exprimé leurs craintes quant aux suivis de ses propositions.

Mais qu’est-ce qu’il se cache derrière ces trois axes ? Tout d’abord, le renforcement du recours aux logiciels libres passe par un référencement des « solutions libres et open source » dans le catalogue GouvTech. Ce n’était pas gagné d’avance, si l’on en croit les propos des présidents du Conseil National du Logiciel Libre (CNLL) rapportés par LeMagIT en juin 2021.

Les membres de cette association ont réclamé la mention des logiciels libres et open source sur la plateforme Web dédiée, ce qui n’était pas prévu à son lancement.

Le catalogue GouvTech n’est pas le seul instrument de ce référencement, selon le plan d’action détaillé sur le site communs.gouv.fr. Le gouvernement compte enrichir le socle interministériel de logiciels libres (SILL), en listant les bibliothèques open source les plus utilisées, en poussant à la réutilisation du code source entre administrations, en favorisant la contribution au projet développé par ces entités, et en maintenant une « veille sur les communs numériques ».

En outre, il convient de « faciliter l’accès au marché interministériel de support logiciels libres » et d’accompagner les administrations dans « la création de communs numériques ».

Pour cela, le gouvernement mise sur la plateforme code.gouv.fr, lancée le 10 novembre. « Le site réunit plus de 9 000 dépôts de code publiés par plus de 1 000 organisations publiques » vante la ministre. En sus du référencement des dépôts publics, il s’agira de valoriser les codes sources ayant un « fort potentiel de réutilisation », ce qui passera aussi par l’inventaire de ceux qui ne sont pas encore disponibles. Amélie de Montchalin a ainsi annoncé l’ouverture prochaine du code source de France Connect, et a rappelé que c’est déjà le cas pour l’algorithme d’orientation en 3e Affelnet Lycée. « Nous nous sommes engagés à ouvrir également le code source du calcul du prélèvement à la source », ajoute Amélie de Montchalain.

Structurer des initiatives existantes

La mise en avant de ces « communs numériques » se fera au travers de l’animation des relais interministériels et de Blue Hats, la communauté montée par la DINSIC en décembre 2018 lors du Paris Open Source Summit. Le gouvernement prévoit de créer un événement annuel de « sprint du libre et de l’open source » pour promouvoir les travaux des agents publics et des chercheurs, et espère attirer les « experts du libre » à travers la mission TALENTS. À ce titre, un partenariat avec l’école CentraleSupélec a été lancé pour permettre à des élèves ingénieurs de contribuer pendant six mois à des logiciels libres utilisés par les administrations, affirme la ministre.

De son côté, Philippe Latombe, député Modem/LREM de la 1re circonscription de Vendée, a déclaré à plusieurs reprises qu’il fallait revaloriser les grilles salariales des agents-développeurs. Selon les propos recueillis par ZDNet auprès d’Antoine Michon, conseiller transformation numérique de l’État, affaires européennes et internationales, un plan d’action est à l’étude en la matière, mais l’intérêt général prime.

Amélie de Montchalin n’a pas évoqué ce sujet lors de son discours. En revanche, elle a assuré que 30 millions d’euros des crédits de son ministère sont dédiés au financement « des solutions libres pour les collectivités territoriales ». Dans les faits, ces fonds en provenance du plan France Relance sont attribués à des co-constructions de services numériques avec l’agence nationale de la cohésion des territoires, dont 13,6 millions sont engagés dans « l’accélération » de 44 projets déjà lancés. Les trois projets du Grand Poitiers, de Gironde Numérique et du département de l’Isère, pris en exemple par le ministère dans son dossier de presse, s’inscrivent dans une démarche open source.

Plus que de nouvelles mesures, ce plan d’action cherche surtout à fédérer et à structurer des initiatives existantes, rappelle Acteurs Publics. Par exemple, code.gouv.fr est notamment l’héritier de code.gouv.etalab.fr. Surtout, le gouvernement préfère inciter plutôt que d’obliger les administrations à adopter l’open source, comme le préconise Philippe Latombe.

« Nouer » des partenariats avec les acteurs français du libre

La ministre a évité les sujets sensibles, en premier lieu l’interdiction d’Office 365 dans les ministères. Et pourtant, elle a fourni sa définition de la souveraineté numérique, particulièrement alignée avec celle de l’écosystème du libre français et européen. « Pour moi, la souveraineté c’est conserver la maîtrise sur les solutions que l’on utilise et notre capacité à décider de notre destin », déclare Amélie de Montchalin.

« Cela signifie bien évidemment nous assurer d’un hébergement des données en Europe et à l’abri de toute règle extraterritoriale. Cela signifie aussi de promouvoir l’interopérabilité et la réversibilité des choix que nous faisons […]. C’est un enjeu démocratique majeur pour moi que de m’assurer que les décisions techniques que nous prenons n’engagent pas les décisions de ceux qui nous suivront. Le logiciel libre est un vecteur de promotion de cette interopérabilité et de cette réversibilité. Enfin, la souveraineté c’est aussi pouvoir s’appuyer et promouvoir les communs bâtis sur des modèles ouverts […] ».

La posture semble bien loin des remarques émises par Philippe Latombe qui considérait que la ministre n’était « pas du tout dans la projection à 5 ou 10 ans » en matière de cloud souverain.

« Les administrations ont besoin de l’expertise et de la créativité de l’écosystème du logiciel libre, autant qu’elles ont besoin des éditeurs logiciels français et européens. »
Amélie de MontchalinMinistre de la Transformation et de la Fonction publique

En outre, Amélie de Montchalin a affirmé sa volonté de « construire un dialogue partenarial et pérenne avec les écosystèmes du logiciel libre », au travers d’une instance d’expertise composée d’administrations et de représentants de l’écosystème pouvant contribuer au plan d’action. « Les administrations ont besoin de l’expertise et de la créativité de l’écosystème du logiciel libre, autant qu’elles ont besoin des éditeurs logiciels français et européens », assure-t-elle. « Je souhaite que le travail de cette instance de dialogue soit le plus concret possible sur des sujets très précis, par exemple en matière de gouvernance à privilégier, de projets à mutualiser ou encore de partenariats à nouer ».

Dans un fil de discussion Twitter, Stéphane Fermigier, co-président du CNLL et PDG d’Abilian, salue la reconnaissance des différences de statut entre éditeurs et intégrateurs de logiciels libres, tout comme la mise en avant des « solutions françaises ». Pour autant, les acteurs du CNLL, partisan de la commande publique, n’ont pas réellement eu l’assurance d’une stratégie d’achat « Made in France » lors de ce discours.

L’enjeu n’est pas seulement franco-français : la Commission européenne regarde de très près les initiatives open source des ��tats membres. Le think tank OpenForum Europe répète de son côté les éléments de son étude repris par Amélie de Montchalin, à savoir qu’il qualifie l’État français comme leader des politiques consacrées aux logiciels libres pour le secteur public en Europe, et souhaite « bonne chance à la DINUM et à Etalab » tout en évoquant les « objectifs ambitieux pour les implémenter ».

Mais rappelons qu’il reste peu de temps au gouvernement pour mettre en œuvre ce plan d’action, d’autant que d’autres problématiques risquent d’occuper l’exécutif jusqu’à la prochaine élection présidentielle.

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