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Joseph Connolly,
l'importance d'être inconstant

Joseph Connolly : ce dandy à l'anglaise déplore la disparition de l'accent oxfordien comme la généralisation de la culture du «lad». Arrière toute ! (Julien Chatelin)

L'auteur célébré de « Vacances anglaises » publie un étrange roman tirant sur le mélo. Rencontre avec le pope des lettres d'outre-Manche.

Joseph Connolly est là. Derrière un bureau privatif chez son éditeur. C'est un choc visuel polychrome. Comme si Karl Marx s'était travesti un soir sans sa femme en pillant la garde-robe et les onguents d'Oscar Wilde. Les cheveux sont crantés, les ongles, longs et manucurés. Les vêtements, impeccables, bien que d'un rose trop ostentatoire. L'exquis accent oxfordien sort d'une bouche mince : un trou dans la jungle. Les doigts pâles s'activent avec délicatesse, les considérations flottent, puis retombent en une descendante suspension.

L'écrivain est à Paris pour y présenter son nouveau roman *. Le temps a passé depuis l'époque où il tenait une librairie pleine d'antiquités dans le pays des merveilles qu'était Hamp stead il y a trente ans. A l'époque, précise-t-il, «les Monty Python venaient régulièrement s'abriter, par temps de pluie, au cœur de ma tanière livresque. Dans un état d'ébriété avancé, faut-il le préciser? John Cleese exerçait sa fameuse "marche stupide". A leur contact, mon fils avait souvent peur.» Hampstead était alors un havre de paix pour lettrés et bohèmes londoniens (McCartney et divers Rolling Stones y logaient durant le Swinging London). «Où que vous regardiez en l'air, les appartements étaient remplis de livres et de pianos à queue. Les librairies envahissaient le quartier. Il y en avait quatre spécialisées en littérature française, rien qu'à Hampstead! Puis, un jour, les clubs vidéo ont remplacé les librairies, les ordinateurs portables, les pianos, et les gens ont trouvé qu'il était nécessaire de pouvoir se garer. J'ai vu ma librairie mourir, c'était affreux. Je suis devenu écrivain à temps plein.» Un écrivain rencontrant assez rapidement le succès. Dans nos grivoises contrées, Connolly est surtout connu comme l'auteur de Vacances anglaises, adapté à l'écran par Michel Blanc sous l'intitulé Embrassez qui vous voudrez (réplique culte : «Il ne faut jamais aller en thalasso, ils ont tous des mules; on dirait une secte.»). Auxquelles il convient d'ajouter l'étonnant L'amour est une chose étrange, dans lequel l'humour et l'amour laissent place, en effet, à une étrangeté assez bienvenue.

L'après-guerre britannique a commencé avec les Beatles

Aujourd'hui, Connolly se lance dans un curieux roman qui ne démarre réellement qu'à la 306e page. Le procédé est ambitieux, pour rester poli. «Ambitieux, comme pour dire que cela ne fonctionne pas?» demande- t-il. Que répondre à ce chic barbu ? Quoi qu'il en soit, il fallait sans doute le tenter. L'action est simple : avant la guerre (300 pages), à Londres, un jeune couple d'Anglais prolétaires vivote. Madame est solide et courageuse, monsieur, picolo et saxo, enclin aux pires bassesses. Pendant la guerre, l'homme devient volage, délinquant et cruel, voire infiniment vicieux. L'enfant est sacrifié fissa par papa et envoyé en orbite chez les péquenauds, à la campagne. Madame subit, et survit. Après la guerre, boum !, tout vole en éclats. Le bien s'élève et triomphe, le mal(e) coule et disparaît. Connolly donne dans le mélo, mais s'en tire assez bien via un sens du détail suppléant une psychologie un poil rudimentaire. «Mon idée, dit-il, est que les mauvaises pulsions de l'homme sont accélérées par la guerre.» Certes. «Parce que, poursuit l'écrivain, de toute ma vie, je n'ai entendu parler que de trois choses: avant, pendant et après la guerre», dit-il, sans avoir jamais lu Jean-Marc Parisis. Et d'ajouter une chose très juste, que peu de gens comprennent dans l'hexagone gaulliste : «L'après-guerre britannique n'a vraiment commencé qu'avec les Beatles, ou juste avant» (c'est-à-dire avec Cliff Richard, ndlr).

Le héros de son épais roman, ceJack l'Epate (traduction catastrophique de Jack the Lad), pose la question de la mode lad, débarquée en force dans le milieu des années 90 avec des magazines à la Loaded et des groupes comme Oasis. Etre lad, c'est être un « mec », un beauf. C'est la culture du pub, l'obsession working class, la cuite du samedi soir et les fortes poitrines de la page 3 du Sun. Comment notre hirsute dandy voit-il cette mode subite ? «C'est une honte pour moi. Avant, on parlait de l'Angleterre en évoquant Oscar Wilde ou Evelyn Waugh. Aujourd'hui, on nous pose des questions sur les lads et les ladettes, les comas éthyliques devant les pubs et les crimes à l'arme blanche. Savez-vous en France, par exemple, que les hommes politiques britanniques prennent désormais des cours particuliers pour s'exprimer avec l'accent working class?!! L'accent oxfordien avait pourtant une véritable utilité: si vous êtes un bon Anglais et que vous conversez avec un Gallois ou un Ecossais, vous ne comprendrez rien, c'est assuré! L'accent d'Oxford, ou d'Eton, permettait aux élites d'être entendues et déchiffrées par tous. Ah! mon ami, dans quel monde allons-nous? Déjà que mon fils me fait croire qu'il lit mes livres alors que je sais que c'est faux...» Sur ce, Connolly vérifie l'état de ses ongles, évoque l'impuissance des prisons anglaises sur les voyous («Ils y sont entre amis, font des économies et y perfectionnent leurs connaissances du crime tout en ayant chaud et en mangeant très convenablement, croyez-moi.») et demande, d'un air candide : «Je suis allé dans un très bon restaurant hier soir. La Closerie quelque chose... Vous connaissez?» Dandy, certes, mais pas encore connétable des lettres anglaises...

* Jack l'Epate et Mary pleine de grâce, Flammarion, 542 p., 21 €. Traduit de l'anglais par Alain Defossé.

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