Le plus «hipster» des mouvements évangéliques du Québec

Photo: Catherine Legault Le Devoir Des fidèles lors d’une cérémonie du mouvement évangélique la Chapelle au théâtre Fairmount, à Montréal, la semaine dernière

Largement influencée par le mouvement mondial Hillsong, la Chapelle attire l’attention de jeunes millénariaux en changeant la forme de l’Église. 

« C’est pas une religion. Tout ce qu’on fait, c’est de pointer vers celui qui sauve, le seul qui peut amener une transformation incroyable, Jésus. Il y a trois ans, il n’y avait rien ici, ce n’était qu’une salle de spectacle. Maintenant, chaque dimanche, il y a la présence de Dieu », déclare le pasteur David Mirck devant une foule gonflée à bloc au théâtre Fairmount.

Chaque dimanche, la Chapelle revendique 1500 fidèles dans cinq différents services religieux offerts à Montréal, notamment à la Tohu, à l’école Père-Marquette et au théâtre Fairmount. Fondée en 2013 par David Pothier, ancien pasteur jeunesse de l’Église évangélique Nouvelle Vie à Longueuil, associée au courant du christianisme non dénominationnel, la Chapelle a des antennes aux quatre coins de la ville.

« Ils apposent leur marque et créent un environnement reproductible qui attire leur clientèle », explique Hillary Kaell, professeure associée au Département des religions de l’Université Concordia. Il y a des comparatifs entre la marque d’une Église comme la Chapelle et McDonald’s, selon Mme Kaell. « Ils vont aussi chercher à implanter ce modèle ailleurs, à attirer plus de gens dans leur congrégation. Mais cela ne nuit pas à l’efficacité de ces églises. Leur modèle s’inscrit dans l’esthétique de la culture occidentale contemporaine. »

Photo: Catherine Legault Le Devoir Le pasteur David Mirck

Le rejet de la religion au sein du mouvement évangélique, c’est une pirouette rhétorique, mais ça traduit aussi un mode de fonctionnement bien spécial, souligne Frédéric Dejean, professeur au Département de sciences des religions à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). « On propose une expérience, une rencontre avec Jésus. On associe la religion du côté de l’institution, de la bureaucratie et du désengagement de l’individu. C’est perçu négativement », explique M. Dejean.

« C’est bien plus qu’une religion, clame passionnément le jeune croyant Raphaël Boulerice. C’est une relation avec Dieu. Dans l’histoire, la religion a fait beaucoup de mal, […] des guerres, des atrocités commises au nom de la religion. On s’en éloigne parce qu’il y a un danger de s’égarer de la base, de la relation avec Dieu. »

Engouement

Si l’islam est souvent perçu comme la confession religieuse en croissance au Québec, c’est plutôt le christianisme qui attire l’attention. « Lorsqu’on regarde le nombre de lieux de culte et les créations de lieux de culte, on remarque que c’est vraiment les communautés évangéliques qui sont en croissance », nuance M. Dejean.

Pour se démarquer, la Chapelle cible des jeunes professionnels québécois non issus de l’immigration. À voir ceux qui en franchissent les portes, on peut penser que la mission semble réussie. Cela fait aussi mentir l’idée que le christianisme serait en fin de vie au Québec, selon M. Dejean.

C’est faux que les Québécois « ont décroché de la religion », selon Solange Lefebvre, professeure titulaire à l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal. « Maintenant que l’idée d’une religion nationale au Québec s’est effritée, de nouvelles Églises arrivent pour répondre à des marchés spécifiques. Nous sommes dans une ère du marché religieux, face à des Églises plus convaincantes que quand leurs effectifs [étaient] assurés. »

Sur le site Web de la Chapelle, aucune explication claire des croyances véhiculées n’est affichée. En passant du rite à la performance dans les cérémonies, l’« expérience » permet d’interpeller des jeunes ayant une vague culture catholique. « On est ici dans une logique de spectacle, de performance. Ce que les gens vont vivre est constamment une expérience inédite, explique Frédéric Dejean. Le succès ne vient pas tant du message que des groupes de musique et de la forme que prend le message dans les chansons. »

Photo: Catherine Legault Le Devoir Le pasteur Josias Laporte officie tous les dimanches à l’Église la Chapelle.

Mains levées en signe de louange à Dieu, les croyants vivent pleinement à la Chapelle, largement inspirée dans ses façons de faire par l’Église mondiale Hillsong. « On met en avant un côté hipster. Les gens sont toujours très beaux, très souriants. Il y a vraiment une esthétique », ajoute Frédéric Dejean.

En tenant cérémonie dans des endroits comme le théâtre Fairmount ou la Tohu, le mouvement rallie les gens peu enclins à pousser les portes d’une église. « Dans une église, on a parfois l’impression que c’est un salon funéraire, se rappelle Raphaël Boulerice. [Ici] je n’ai jamais peur d’inviter des amis, parce qu’ils ne seront jamais déçus. » D’autres Églises, comme l’Église 21 ou Resurgent Church, se réunissent quant à elles au cinéma Banque Scotia et Cineplex Kirkland pour faciliter la prise de contact avec leurs fidèles et limiter les coûts associés aux taxes foncières.

Croissance personnelle

Des messages positifs, livrés par des pasteurs charismatiques, voilà la recette gagnante des sermons. Messages qui, à la lecture des titres offerts en baladodiffusion par Nouvelle Vie, pourraient facilement être confondus avec des conférences sur la croissance personnelle : « Comment réagir à des situations incontrôlables » ou « Plus jamais seul ». « Les gens n’ont pas besoin d’une grande interprétation théologique des textes bibliques, mais plutôt qu’on leur parle de leur vie quotidienne », explique M. Dejean.

À chaque génération son mouvement. Les années 2000 ont vu percer l’Église de scientologie à travers Tom Cruise, Madonna et Britney Spears ont embrassé la Kabbale, et, récemment, Justin Bieber s’est fait l’égérie de Hillsong. « Les Églises évangéliques sont très sensibles à l’air du temps. Rien n’indique que, dans quelques années, ce ne sera pas autre chose », conclut M. Dejean.

En attendant, la Chapelle souhaite ouvrir 30 églises en 30 ans. Depuis plusieurs semaines, la Chapelle a refusé toutes nos demandes d’entrevue, promettant d’y répondre « après Noël ». Quant à l’Église Nouvelle Vie, on nous a indiqué qu’on avait pour « politique de ne pas accorder d’entrevues aux médias ».

Homosexualité: des réponses floues

Derrière une façade d’Église cool et progressiste, quels messages véhiculent les mouvements évangéliques au Québec ? À l’Église Nouvelle Vie, d’où provient et où continue de prêcher à l’occasion le fondateur de la Chapelle, les statuts interdisent nommément aux personnes homosexuelles d’être membres. L’homosexualité y est associée à certains actes criminels : « […] tout manquement moral impliquant une conduite sexuelle ou une déviation sexuelle (notamment, mais sans limitation, l’adultère, l’homosexualité, l’inceste, l’agression sexuelle, la pornographie et les contacts inconvenants avec le sexe opposé) ».

Cette Église brandit l’article 20 de la Charte des droits et libertés de la personne pour justifier cette exclusion. « Comme la communauté LGBT se sent offensée de ça, [elle] voudrait nous imposer en tant qu’Église ses croyances et venir brimer notre liberté de religion. Ils ont plein de libertés et nous, nous avons notre liberté de religion. Dans un pays libre et démocratique, ces deux libertés se doivent de pouvoir coexister. Je trouve ça un peu intolérant envers nous de vouloir nous attaquer », a expliqué au Devoir Me Nancy Collette, avocate de l’Église Nouvelle Vie. Du côté de la Chapelle, on a répondu par courriel qu’on n’avait pas « de constitution ou de guide de règlements où l’on mentionne des critères d’admissibilité ». On ajoute également que la Chapelle « est ouverte à tous ».

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