Publicité

«Ils n'apprennent pas à lire avant 8 ans» : les secrets de l'éducation à la nordique

La journaliste britannique Helen Russell élève ses enfants au Danemark.
La journaliste britannique Helen Russell élève ses enfants au Danemark. Photo personnelle

ENTRETIEN.- Journaliste britannique installée au Danemark depuis 10 ans, Helen Russell vient de publier le livre How to Raise a Viking. Elle y explore les secrets de la parentalité à la nordique, véritables clés du bonheur.

Les enfants sont plus heureux dans les pays nordiques. C’est ce que signalait un rapport de l’Unicef en 2020. En tête du classement des pays où le bien-être infantile est le plus élevé, on retrouvait les Pays-Bas, le Danemark, la Norvège, suivis de près par la Suède et la Finlande. Là-bas, les jeunes souffrent moins de troubles de la santé mentale, sont moins souvent en surpoids, bougent davantage... En comparaison, la France était 19e du classement.

Alors qu'est-ce qui promet aux jeunes une enfance (et une vie) plus heureuse dans l'environnement et l'éducation de ces pays ? Helen Russel est partie en quête de la réponse. Cette journaliste britannique installée au Danemark depuis plus de 10 ans est déjà l’auteure du best-seller Bienvenue chez les Danois (publié en France en 2017). Dans son dernier livre How to Raise a Viking («Comment élever un Viking», en français), la correspondante du quotidien The Guardian a interrogé chercheurs, historiens, politiciens et bon nombre de parents locaux, afin d’explorer les secrets de l’éducation à la nordique. Helen Russell a répondu à Madame Figaro.

Madame Figaro.- Après avoir grandi au Royaume-Uni, vous élevez aujourd’hui vos trois enfants au Danemark. Quelles différences éducatives vous ont le plus frappé ?
Helen Russell.- Avant même d’être parent, un détail a attiré mon attention : ici, on croise quotidiennement des tribus d’enfants vêtus de combinaisons de neige, en train de se promener ou de jouer sous la pluie, le grésil ou la neige. C'est très différent du Royaume-Uni où l'on ne sort pas jouer quand il pleut. Au Danemark, on dit qu'il n'existe pas de mauvais temps, simplement de mauvaises tenues. Les jeunes n'ont pas peur d'être mouillés ou d'avoir froid, ils découvrent qu'ils peuvent survivre à la nature. Ils développent alors un état d'esprit positif face à l'hiver, cela augmente leur tolérance à l'inconfort et la confiance en soi. Le rapport au jeu est aussi central dans l’éducation ; les scientifiques ont d’ailleurs largement démontré que jouer rendait un individu plus heureux et plus équilibré. Jusqu’à l’âge de 6 ou 7 ans, il est l’activité principale des enfants des pays nordiques, si ce n’est la seule. Ils n’entrent à l’école qu’à 6 ans et n’apprennent pas à lire avant 8 ans. Le jeu est si important qu’il existe deux mots pour décrire l’activité. En danois, le verbe «lege» désigne celles libres et non structurées (dans la nature, par exemple, ou toute activité que les enfants inventent), et le verbe «spille» est utilisé lorsqu'on parle d’une activité encadrée par des règles, comme un sport, un jeu de société ou un instrument de musique.

J'avoue avoir été déstabilisée le jour où mon fils de moins de 5 ans est rentré à la maison et m'a dit qu'il s'était entraîné à manier le couteau

Helen Russell

Dans votre livre, on comprend aussi que le rapport au risque est différent...
Les notions de sécurité et de santé ne sont pas vraiment au cœur de l'éducation dans les pays nordiques et ils sont les leaders mondiaux du jeu à risque. Le jeu de combat est d’ailleurs considéré comme un élément important du développement de l’enfant. En clair, en le laissant prendre part à des conflits, le parent lui enseigne la capacité de résoudre un problème et celle de savoir faire la paix. Cette liberté dans le jeu permet d’accompagner la croissance des petits, elle les aide à appréhender leur corps en comprenant ce qui fait mal ou non. Ils recueillent ainsi des informations sur le monde et sur eux-mêmes. Par exemple, ils peuvent se demander «le feu est-il chaud ?» ou «si je saute de cette bûche, que va-t-il se passer ?», et tout simplement expérimenter en mettant le doigt sur une flamme ou en sautant d’une branche. Ellen Beate Hansen, professeure en sciences de l'éducation en Norvège, m’a appris que la prise de risques réduisait le sentiment de peur et la timidité chez l'enfant. Des études norvégiennes ont en effet montré qu’un enfant qui grimpe aux arbres, tombe et se casse une jambe a moins de chance d’avoir le vertige que celui qui ne monte jamais aux arbres.

A-t-il été difficile de lâcher prise pour la Britannique que vous êtes ?
J’avoue avoir été quelque peu déstabilisée le jour où mon fils de moins de 5 ans est rentré à la maison en sentant le feu de bois et m'a dit qu'il s'était entraîné à manier le couteau. Ou encore lorsque son frère jumeau a demandé une scie pour ses 2 ans. Mais je constate que cette éducation porte ses fruits. J'ai passé beaucoup de temps à l'hôpital avec mes enfants, mais ils vont bien !

How to raise a viking est pour le moment uniquement disponible en langue anglaise. Harper Collins Publishers

Comment les Danois se positionnent-ils face aux enfants ? Quel est leur rapport à la discipline ?
L'adulte ne se positionne pas au-dessus de l'enfant et le parent n'élève pas vraiment la voix. Par exemple, ce qui au Royaume-Uni et en France est appelé le «terrible two» (période durant laquelle un enfant tente de repousser les limites qui lui sont imposées, NDLR) est simplement appelé ici «l’âge des limites». Le fait qu'un enfant traverse des sautes d'humeur et revendique une autonomie est considéré comme la norme, pas comme une phase «terrible». Pour inculquer des règles, les parents essaient avant tout de garder leur calme. Ils ne se concentrent pas sur le comportement de l'enfant, mais cherchent à comprendre ce qui se cache derrière. L’adulte se demande toujours ce qu'il peut faire pour aider l'enfant dans une situation difficile. Cela facilite le dialogue et le respect.

L’enfant n’est-il pas traité comme un roi ?
Non, le principe est de miser sur son autonomie de façon à le responsabiliser le plus vite possible. D’ailleurs, quand un enfant montre son dessin à son parent, ce dernier ne s’extasie pas et le considère simplement pour ce qu’il est : un dessin d’enfant. Les Danois remplacent aussi les compliments par de l'attention. Quand un petit leur demande de regarder ce qu’il fait, ils interrogent : «comment as-tu fait ça ?». Cela montre aux enfants que l’on s’intéresse à eux et non à leurs «résultats». Ils apprennent ainsi à s’évaluer par eux-mêmes et ne grandissent pas en attendant une validation externe.

Avant l'âge de 11 ans, les enfants des pays nordiques n'ont aucune idée de leur niveau en classe

Helen Russell

La réussite d’un enfant n’est par ailleurs pas basée sur ses notes à l’école.
Avant l’âge de 11 ans, les enfants des pays nordiques n’ont aucune idée de leur niveau en classe. Ils ne sont ni notés, ni comparés à leurs camarades. Ainsi, à l’âge d’être évalués, ils ont acquis un socle de connaissances et de la confiance en eux. Et cela ne ralentit en rien leur apprentissage : selon les rapports du PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves, NDLR), les jeunes Danois ont l’un des niveaux de culture financière les plus élevés au monde. À l'âge de 15 ans, ils se situent au-dessus de la moyenne de l'OCDE en mathématiques, en sciences et en anglais. Il s'agit donc simplement d'une approche éducative plus lente qui favorise le bien-être. La recherche montre en effet que le fait de pousser les enfants à lire trop tôt peut être source de stress et n'apporte aucun bénéfice perceptible à l'adolescence.

Selon le World Happiness Report, c’est notamment en Finlande et au Danemark que le taux de confiance des habitants en leurs concitoyens et en leur gouvernement est le plus élevé. Cela contribue d’ailleurs à leur bonheur. Comment les parents transmettent-ils cette valeur aux enfants ?
Tout simplement par l’exemple. Il faut bien comprendre que depuis tout petit, un enfant fait la sieste seul dehors dans son landau ou encore que les écoles n’ont pas de grillages. En Islande, les jeunes de moins de 12 ans sont autorisés à vagabonder seuls dans les rues jusqu’à 22 heures pendant les vacances d’été, lorsque le taux d’ensoleillement est de près de 24 heures. Dans un autre registre, en 2019, des chercheurs suisses et américains avaient déposé 17.000 portefeuilles dans 335 villes et 40 pays différents pour observer s’ils étaient rapportés ou non à leur propriétaire. Au Danemark, 80 % des portefeuilles contenant de l'argent avaient été rendus. Les enfants grandissent donc dans ce climat de confiance dont ils s’imprègnent.

Le jeu de combat est d'ailleurs considéré comme un élément important du développement de l'enfant

Helen Russel

Un sentiment de communauté qui leur est par ailleurs inculqué par le chant ?
Tout à fait. Les Danois adorent chanter, ils le font lors d'événements communautaires, à l’université et même parfois au travail pour commencer une réunion ou la terminer, ou les deux. De nombreuses écoles organisent encore des chants de groupe tous les matins. Il a été prouvé que l’activité libère de l'ocytocine (l’hormone de l'attachement et de la sécurité, NDLR), réduit le stress et que la synchronisation des respirations crée un sentiment de solidarité et de cohésion sociale. On comprend donc un peu mieux pourquoi les enfants nordiques sont considérés comme les plus heureux du monde !

«Ils n'apprennent pas à lire avant 8 ans» : les secrets de l'éducation à la nordique

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
49 commentaires
  • Ar-Men

    le

    Les pays scandinaves sont la parfaite illustration de ce paradoxe. On brandit en permanence leur “package bonheur” : politique familiale paritaire, égalité sociale, économie florissante et on les décrit comme des lieux de plénitude. On en oublierait presque qu’ils ont des taux de suicide parmi les plus élevés d’Europe avec respectivement 28,9% en Finlande et 16% au Danemark.

  • anonyme

    le

    Un enfant doit pouvoir apprendre à lire quand il le souhaite. Ça peut être à 5 ans , pourquoi les priver de cette joie ?

  • CA VA ETRE CENSURE

    le

    8 ans, c'est formidable... En France, on a des "bacheliers" qui savent à peine écrire.