Mort de Françoise Hardy

PHOTOS – Mort de Françoise Hardy : retour sur le style intemporel de l'icône

Thomas Durand | à 10h16 - Mis à jour le mer. 12 juin 2024 à 18h16

PHOTOS – Mort de Françoise Hardy : retour sur le style intemporel de l'icône

Françoise Hardy est décédée ce mardi 11 juin, à l’âge de 80 ans, éprouvée par un cancer du nasopharynx. Star de la variété française, elle a aussi été une muse pour les créateurs de mode. Décryptage de l'indémodable « style Hardy », singulière façon d'être et de se présenter au monde…

« Je suis devenue icône un peu malgré moi. » La phrase est lâchée, verticale, sans faux pli, un peu sèchement, à son image à vrai dire, dans L’Express Styles, en 2007. Elle résume le glorieux embarras qui, toute sa vie d’artiste, a auréolé Françoise Hardy, adepte de l’épure, insatisfaite chronique et perfectionniste acharnée. En 1967, elle chantait déjà Ma jeunesse fout le camp. Début 2017, revenue d’entre les morts comme elle le raconte dans son livre Un cadeau du ciel… (Ed des Equateurs), elle continue de déplorer l’avachissement général et sa propre « décrépitude ». Râler est chez elle une respiration. Comme tous les grands cyniques, Françoise n’est peut-être qu’une optimiste et une esthète déçue. Longtemps, elle s’est sentie coupable d’à peu près tout. D’être l’enfant d’un couple illégitime, de ne pas être plus jolie qu’une autre, d’écrire toujours la même chanson, de fuir la scène, de ne pas avoir été suffisamment digne d’amour. Le discernement est à ses yeux la plus grande des vertus. Elle ne cache pas son horreur de la faute. Qu’elle soit de goût, d’orthographe ou de comportement.


Pendant vingt ans, elle ne s’habille plus qu’en noir ou blanc, vestes et pantalons ajustées, quand tant d’autres travestissent leur âge sous les fards, soies et fourrures. Boulimique de lectures dans la solitude de son repaire parisien, à peine interrompue par le visionnage de séries, elle adore la littérature anglo-saxonne de la fin du 19eme siècle – l’œuvre d’Henry James plus particulièrement – mais ne cache pas son aversion pour Virginia Woolf (« une intellectuelle ennuyeuse ») et Marguerite Duras (« d’une consternante nullité »). Elle ne chantera plus après la sortie de son album Personne d'autre, en 2018. Elle pense avoir tout dit. Elle sait se montrer parfois moins définitive. Aux idéologues de tous bords, surtout de gauche, elle n’hésite pas à opposer un pragmatisme, dépourvu d’angélisme, et ce qu’elle considère comme du bon sens, implacable. Ne la bousculez pas. Reprenant le bon mot d’une amie commerçante, Françoise Hardy se vit comme « un chef d’œuvre en péril ». La formule la fait rire. Pas faux…

PHOTOS - Mort de Françoise Hardy : retour sur les looks emblématiques de la star des Yé-yé

Françoise Hardy, l'anti-Brigitte Bardot

Une bombe à retardement. La fille de la rue d’Aumale dans le 9e arrondissement de Paris n’a que son bac et un contrat avec les disques Vogue en poche, un passage par le Petit Conservatoire de la chanson de Mireille dans les bottes et ses seuls omoplates pour donner du relief à sa tenue, lorsqu’elle entonne Tous les garçons et les filles de mon âge sur le plateau de la RTF, unique chaîne télévisée, fin 1962. La ritournelle n’est composée que de quatre accords, les paroles semblent tirées du journal intime d’une adolescente. Françoise l’interprète sans effusion. Mais ce soir d’octobre, alors que les Français attendent les résultats du référendum sur le suffrage universel pour l’élection présidentielle, la jeune chanteuse à la frange et à la moue boudeuse déclenche un véritable plébiscite. Plus de 500 000 exemplaires du titre s’écoulent avant la fin de l’année. En pleine guerre froide, les pin-up d’Hollywood pointent leurs seins et leur croupe comme des missiles. Hardy est un attentat tout aussi ravageur, qui sévit bientôt au-delà de nos frontières. Grande bringue ascétique, elle s’impose même comme l’antithèse de l’autre produit français d’exportation de l’époque, Brigitte Bardot. Nul hasard si Roger Vadim la fait tourner dans l’adaptation cinématographique du Château en Suède de Françoise Sagan.

Consacrée « nouvelle idole de la chanson » par Paris Match, elle se démarque surtout des autres Yéyés, qui pour la plupart adaptent les tubes américains du moment, par ses compositions originales. Le temps de l’amour, Mon amie la rose, L’amitiéInsensible aux modes, Françoise n’aime déjà que le sur-mesure, tendance minimaliste. « Nous travaillons peu notre allure, mais la marque de fabrique familliale, bien au-delà du vêtement, c’est le style antistar », confiera-t-elle à L’Express Styles, au cours d’un entretien croisé avec son fils Thomas, près de cinquante après ses débuts. Dieu a créé certaines femmes. Hardy s’est créé toute seule. Ou presque. Le photographe des Yéyés, Jean-Marie Périer, son compagnon avant Jacques Dutronc, sait alors mieux qu’aucun autre mettre en valeur l’inaltérable fraîcheur et l’intemporelle modernité de celle qui confiera, des décennies plus tard, avoir « horreur de prendre la pose », « horreur de l’exibitionnisme ».

"Mon allure intéressait plus les Anglais que mes chansons!"

Car question style, Françoise fait avec son physique et ses besoins, sans se soucier des fantasmes qu’elle nourrit. « Je me suis intéressée à la mode quand j’ai commencé à faire de la scène et à passer à la télévision », racontait-elle, il y a quelques années. Elle a inspiré à la créatrice japonaise Rei Kawakubo le nom de sa marque Comme Des Garçons. Elle a largement influencé le travail de Nicolas Ghesquière chez Balenciaga. Mais malgré les clins d’œil des maisons de couture, elle s’avoue plus prompte à faire ses emplettes chez Caroll ou Repetto, pour des raisons de confort. Sa collaboration avec André Courrèges, couturier aux lignes futuristes, dans les années 60 ? Une urgence. Françoise aime ses collections épurées, mais il est surtout le premier à accepter de l’habiller pour Dim Dam Dom, émission destinée à un public féminin, qu’elle doit tourner. Aujourd’hui, difficile de croire que ces ensembles tuniques-pantalons-bottines blanches ne furent pas dessinées pour la longiligne silhouette de la chanteuse. Idem pour la combinaison métallique qu’elle demanda à Paco Rabanne, la veille d’une tournée à Londres, après le succès d’un cliché de Jean-Marie Périer l’immortalisant déjà dans une tenue du « métallurgiste de la mode » sous le soleil d’Egypte. « Mon allure intéressait plus les Anglais que mes chansons ! », a presque regretté Françoise, il y a quelques années.

Il n’empêche, pour reprendre les mots de Malcom McLaren, feu le manager des Sex Pistols qui la fit chanter sur l’album Paris en 1994, « elle était la pin-up de toutes les chambres d’adolescents et de tous les artistes en pleine ascension, comme les Rolling Stones. Brian Jones et Mick Jagger, John Lennon, Paul McCartney et bien d’autres rêvaient qu’elle devienne leur petite amie. » Parmi ces « autres », citons tout de même Bob Dylan, qu’elle rencontrera à la fin d’un concert, plus déçue que charmée, ou encore feu David Bowie, qui, ses émois refroidis, aura ces mots de gentleman : « Longtemps, je me suis consummé de passion pour elle et je suis sûr qu’elle le savait. C’était le cas de tous les hommes à l’époque, de bien des femmes aussi, et de la plupart d’entre nous encore aujourd’hui. » Hardy, sex-symbol, malgré elle ? « Le problème, c’est que je ne les connaissais pas vraiment et que j’étais trop timide pour engager la conversation. Je les trouvais un peu bizarres. Je ne savais rien des drogues, j’étais très naïve. Jusqu’à ce que je découvre que ces musiciens dont l’assurance me séduisait tant étaient tous complètement défoncés ! », a-t-elle plaidé.

PHOTOS - Mort de Françoise Hardy : retour sur les looks emblématiques de la star des Yé-yé

Cheveux courts et silhouette androygne à 40 ans, Françoise redoute de devenir "une vieille chanteuse"

Sa drogue dure à elle s’appelait Jacques Dutronc. Jetée dans ses bras par le directeur artistique du label Vogue, Jacques Wolfsohn, en 1967, Françoise lui pardonne tout. Sa jalousie maladive quand Serge Gainsbourg, maître-chanteur des plus belles femmes, lui offre la chanson Comment te dire adieu, en 1968. Ses incartades aussi, après leur mariage en Corse, en 1981. L’interprète de Et moi, et moi, et moi n’a-t-il donc rien compris au Message personnel, écrit par Michel Berger, qu’elle lui a adressé huit ans plus tôt, alors que leur fils Thomas venait de naître, mais que papa se faufilait déjà par des portes dérobées? « Et si un jour, tu crois que tu m’aimes, viens me retrouver… » Pour son playboy, Hardy a pourtant multiplié les renoncements. Elle a d’abord abandonné la scène, à vingt-quatre ans, sous prétexte que sa mémoire lui faisait défaut, qu’elle était une piètre chanteuse en dehors des studios, qu’elle détestait prendre la route…

A l’approche de la quarantaine, c’est même sa carrière qu’elle prévoit d’arrêter. Sa maison de disque est prévenue : elle ne sera pas une « vieille chanteuse ». Cheveux courts et silhouette androgyne, elle jure tirer sa révérence avec Décalages, en 1988. Hardy ne manque pas de style, ni de panache. Mais Françoise se punit surtout de l’attraction qu’elle éprouve pour un autre homme. Le plaisir et elle, c’est définitivement une affaire impossible. Heureusement, la jeunesse n’a pas foutu le camp. Malgré sa santé qui s’étiole, Etienne Daho, Damon Albarn, leader du groupe britannique Blur, Benjamin Biolay, Calogero, Julien Doré, entre autres, la ramène en studio. Quand ses ouvrages Le désespoir des singes… et autres bagatelles, en 2007, Avis non autorisés, en 2015, et Un cadeau du ciel, fin 2016, la renvoient à ses souvenirs, ses indignations et quelques interrogations métaphysiques. Chez elle, dans son salon, un immense bouddha en plâtre doré trônait, jambes croisées. Il nous a toujours semblé bien petit face à l’icône Hardy.

Mort de Françoise Hardy - actualités, photos et vidéos - Gala
À lire aussi
Mort de Françoise Hardy - actualités, photos et vidéos - Gala

Crédits photos : BEST_IMAGE

A propos de


Autour de Françoise Hardy