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Sandrine Kiberlain : «Je n'ai jamais été à l'aise avec les scènes de corps dans les films»

Sandrine Kiberlain porte un top à pompons en raphia et un débardeur en coton, Bottega Veneta.
Sandrine Kiberlain porte un top à pompons en raphia et un débardeur en coton, Bottega Veneta. Photo Thiemo Sander

Héroïne de La Petite Vadrouille, de Bruno Podalydès, l'irrésistible actrice sera à la rentrée la mythique Sarah Bernhardt dans le biopic réalisé par Guillaume Nicloux. Un rôle à sa mesure.

Certains acteurs finissent par lasser, comme si leur mystère, leur aura ou leur rayonnement se ternissait au gré des films. Sandrine Kiberlain produit l'effet inverse. Plus elle apparaît à l'écran, plus elle surprend. Plus elle joue, plus elle est emportée par ce qu'elle désigne comme le «feu sacré.» Discrète, solaire, ancrée, elle s'affranchit et se déleste de toute gravité au cinéma. Actrice majeure (deux césars et trente-cinq ans d'une carrière à succès), l'une des plus sollicitées du cinéma français, elle se réinvente à chaque rôle, cherche les pas de côté, est attirée par tout ce qui vrille et tout ce qui vibre, et fuit les feux de paille saisonniers : «Je préfère être une actrice de tous les temps qu'une actrice d'aujourd'hui», assure-t-elle.

Sa filmographie exemplaire atteste de cet appel et de cette exigence, un idéal où, dans son cas, la grâce et le travail se répondent et se confondent. À cet égard, il n'est pas surprenant que Sandrine Kiberlain joue Sarah Bernhardt, figure historique, première « star » française mondiale, qui tout au long de sa carrière a su embrasser tous les genres — tragédie, comédie — tout en marquant les esprits par sa liberté absolue. En attendant la sortie de ce film de Guillaume Nicloux à la rentrée prochaine, on retrouve Sandrine Kiberlain dans une comédie, La Petite Vadrouille, son troisième film dirigé par Bruno Podalydès, avant Les Barbares, de Julie Delpy.

Madame Figaro. – Qu'est ce qui vous a plu chez Justine, le personnage que vous jouez dans La Petite vadrouille ?
Sandrine Kiberlain. – J'aime le regard que le réalisateur, Bruno Podalydès, pose sur moi et sur les rôles qu'il m'offre. Ses personnages me valorisent. Justine est forte, honnête, terrienne, drôle, émouvante, percutante… toutes les qualités de la femme moderne. Avec lui, je m'éloigne de la gaucherie ou de l'errance auxquelles on a parfois pu m'associer au cinéma. Et Bruno sait faire rire tout en restant très ancré dans la réalité.

Après trente-cinq ans de carrière, diriez-vous que vous avez toujours le feu sacré ?
Oui, et ce feu ne me quittera jamais. Je le ressens quand j'attends entre deux films et que je me demande quelle aventure va m'emporter pour devenir une autre, pour vivre une nouvelle histoire. Je parle de ce métier de la même manière qu'il y a trente ans, le même trac m'habite avant de commencer un tournage, et je m'amuse toujours autant quand le film nous y invite. Ce feu ne me délaissera jamais parce que le jeu, c'est l'enfance, et je cours après ça. J'aime aussi les acteurs, les voir s'emparer d'un personnage, et j'ai adoré les filmer quand j'ai réalisé mon film, Une jeune fille qui va bien.

Coiffure John Nollet pour la Maison de Beauté Carita. Maquillage Christophe Danchaud. Photo Thiemo Sander

Qu'est-ce que ça veut dire être une actrice aujourd'hui?
Je vois bien que ça change, sans que cela ne bouge pour moi. Peut-être vais-je me laisser complètement dépasser ? (Rires.) Comme le disait Sabine Azéma, je me sens comme un mouton extérieur au troupeau. C'est-à-dire que pour moi, un acteur et une actrice ne doivent pas essayer de plaire ou de correspondre à ce qu'on attend d'eux. Il faut rester soi-même et fidèle à ses choix. J'évite de me lancer dans un genre de film ou de série uniquement parce que c'est à la mode. Je préfère être une actrice de tous les temps qu'une actrice d'aujourd'hui. En revanche, l'image a pris une place centrale dans mon métier. À mes débuts, on m'avait proposé de devenir égérie parfum, et j'avais refusé parce que je n'avais pas ça en tête. Il y a quatre ans, alors que toutes les actrices de mon statut pensaient à être ambassadrices d'une marque, j'étais encore loin de cette réalité. Ce côté totalement à l'ouest me ressemble bien. J'ai fini par ouvrir les yeux sur ce qu'est devenu ce monde, et j'ai maintenant conscience qu'il y a quelque chose à jouer et à aimer de cet univers-là. Mais, si je représente une marque, je ne dois jamais me trahir, il faut qu'elle me corresponde et colle à ma personnalité. Je ne veux pas me compromettre. Il est aussi important de rester vigilant à ce que l'image ne prenne pas le pas sur le cinéma. Incarner un personnage dans un film demande un réel abandon de soi.

Les acteurs d’aujourd’hui communiquent aussi beaucoup sur les réseaux sociaux...

J'ai un compte Instagram, mais dès que je poste une photo, je l'efface aussitôt. J'ai l'impression de me dévoiler bêtement, et je me demande qui ça peut bien intéresser. En revanche, là où je me considère être une actrice d'aujourd'hui, c'est lorsque je me plie à l'exercice de la promotion d'un film sur les réseaux sociaux. J'ai essayé de le faire de manière un peu originale, mais je me sens très vite idiote, donc je reste maintenant très basique.

Poncho en laine, Bottega Veneta. bracelets et bagues Trinity, Cartier, bottes Aigle. Photo Thiemo Sander

Quel est le secret pour susciter encore le désir après avoir joué tant de personnages ?
À vrai dire, je ne sais pas. J'en suis moi-même étonnée. Je me dis peut-être qu'en vieillissant on suscite d'autres choses aux metteurs en scène, mais c'est aussi très lié à ce qu'on est. Il faut presque être indémodable. Tous les choix que nous faisons – les films qu'on accepte, ceux qu'on refuse, les premiers rôles, les plus petits… – nous racontent et inspirent ou non les réalisateurs. Mais il existe aussi une part de mystère. Comme en amour, on ne sait jamais pourquoi on est choisie ou pourquoi la rencontre se fait. Et ce qui est étonnant, c'est que j'aurais pu aller vers les réalisateurs qui sont venus à moi. Preuve qu'il y a quelque chose qui nous connecte.

Trench en gabardine de coton, et débardeur en coton, Bottega Veneta. Bagues et bracelets Trinity, Cartier, bottes Aigle. Coiffure John Nollet pour la Maison de Beauté Carita. Maquillage Christophe Danchaud. Photo Thiemo Sander

Avez-vous déjà fait part à des réalisateurs de vos envies de tourner avec eux ?
C'est une démarche que je me suis longtemps refusée, car j'étais persuadée que mon approche éteindrait le désir du réalisateur. J'ai, cependant, fait deux fois des exceptions à cette règle. En écrivant à Stéphane Brizé après avoir vu son film Le Bleu des villes pour lui dire à quel point son univers m'avait touché, puis à Alain Resnais pour lui témoigner mon admiration. Alain m'a rappelé cinq ans plus tard pour me remercier et me proposer un rôle dans son film Aimer, boire et chanter, qui, m'a-t-il dit, serait sans doute son dernier.

Coiffure John Nollet pour la Maison de Beauté Carita. Maquillage Christophe Danchaud. Photo Thiemo Sander

Vous qui avez débuté dans les années 1990, comment expliquez-vous que cette époque ait été celle de la prédation ?
J'ai beaucoup réfléchi à cette question, parce que j'ai toujours été préservée sur les plateaux de cinéma. Je n'ai jamais croisé de prédateurs dans mon métier, mais j'ai été agressée à 17 ans, et j'en ai évidemment été très traumatisée. Preuve que le danger peut venir d'ailleurs… J'en conclus que j'ai eu de la chance à plusieurs niveaux comme actrice. J'ai été chanceuse de ne pas me retrouver face à des harceleurs ou dans des situations que je ne maîtrisais pas. Les deux fois où il m'est arrivé de ne pas aimer des tournages, pour des raisons qui n'avaient rien à voir avec du harcèlement, je ne me suis pas laissée faire, et je n'ai ensuite plus retravaillé avec ces réalisateurs. Dans ma carrière, il m'est arrivé de tourner des films qui m'ont parfois violentée, mais je les avais choisis. J'ai commencé par interpréter une call-girl à moitié nue, dans le film d'Éric Rochant, mais j'étais entourée de gens extrêmement délicats et attentionnés. Dans À vendre, de Laetitia Masson, je me faisais tripoter dans tous les sens, mais ces scènes existaient déjà dans le scénario, elles n'étaient pas gratuites, et j'avais accepté de les jouer au préalable. Et, surtout, je ressentais le regard de Laetitia si bienveillant. Cette expérience m'a d'ailleurs beaucoup appris, et je veillais, en la tournant, à ce qu'elle ne me prenne pas plus qu'exigé. Mais je n'ai jamais été très à l'aise avec les scènes de corps, de baisers et d'intimité dans les films.

De quel œil voyez-vous arriver les coordinateurs d'intimité sur les tournages ?
Je pense qu'avec ce qu'on apprend aujourd'hui, il faut absolument continuer à veiller et à faire cesser les dérives, mais je ne voudrais pas non plus que cela empêche le jeu et l'abandon qu'il suppose. Je ne pense pas qu'on puisse chorégraphier un baiser ou une scène intime. Il faudrait faire confiance à son partenaire et au réalisateur pour donner quelque chose de vivant. Il s'agit donc de trouver un dosage extrêmement précis pour éviter les dérapages, sans entamer la création.

Vous qui avez filmé la jeune génération, dont Rebecca Marder, et sachant que votre fille, Suzanne, évolue elle aussi comme comédienne, quels conseils de précaution leur donnez-vous ?
J'ai confiance en elles, donc je ne leur dis rien, et je les observe. Cette prise de parole va les rendre plus vigilantes d'elles-mêmes, plus fortes, et les aidera, peut-être, à éviter le pire. On peut compter aussi, j'espère, sur la justice et les progrès à venir. Il faut maintenant savourer sans que tout soit aseptisé. En revanche, sur les autres problématiques qui touchent le cinéma, je pense qu'il est important que les œuvres ne soient pas impactées par des procès qui n'ont pas encore eu lieu. Je n'empêcherai pas mes petits-enfants de voir Cyrano de Bergerac ou Le Dernier Métro, parce qu'il s'agit de deux des plus grands films qui soient. J'ai très peur de l'acharnement médiatique avant jugement.

J’aurai toujours le feu sacré

Sandrine Kiberlain

Vous incarnez Sarah Bernhardt dans un film de Guillaume Nicloux attendu à la rentrée. Comment cette actrice mythique est-elle arrivée dans votre vie ?
Quand j'ai commencé dans le cinéma, ma grand-mère paternelle m'avait conseillé de changer de nom pour me faire appeler Sandra Bernhardt ! C'était l'actrice absolue pour elle. Lorsque Guillaume Nicloux m'a parlé de ce film pour la première fois, il y a quatre ans, j'avais peu de références la concernant. Je me suis alors intéressée de plus près à cette star française et mondiale, une femme engagée, libre, exaltée dans sa passion. Elle a été la première à jouer à l'étranger, à incarner des hommes, elle a défendu Dreyfus, la cause des femmes… J'étais loin d'imaginer une telle stature.

Sarah Bernhardt est-elle le rôle d'une vie pour une actrice ?
Je n'ai pas encore vu le film, mais Guillaume Nicloux m'a laissé créer ma propre version de Sarah Bernhardt. J'ai fait avec lui ce que j'imaginais de cette femme avant-gardiste, qui était d'une telle excentricité, d'une telle énergie, d'une telle démesure. Ma veine est qu'on ne sait pas très bien à quoi elle ressemblait physiquement, et cela m'a laissé une certaine liberté pour l'incarner. La veille du tournage, je n'avais pas la moindre idée de la façon dont j'allais la jouer… Je ne peux donc pas dire s'il s'agit là du rôle de ma vie, mais c'est sûr que c'est une chance. C'est la première fois que j'interprète un personnage d'une telle envergure.

Sachant que votre grand-mère était tragédienne de théâtre et que votre père écrivait des pièces, avez-vous l'impression de prolonger l'histoire familiale ?
Maintenant que vous m'y faites penser, oui, c'est assez fou, mais je retiens surtout ce qu'ils m'ont transmis. Ils ne se sont pas opposés à ce que j'exerce ce métier, sans doute parce qu'ils avaient, eux aussi, le goût du jeu, et qu'ils ne trouvaient pas ça fou, dangereux ou inconséquent. Ils m'ont fait confiance et rêvaient peut-être en secret de devenir acteur, metteur en scène ou auteur. Mes grands-parents et mon père ne sont plus de ce monde aujourd'hui, mais ils ont suffisamment été là pour voir que j'avais réussi.

La Petite Vadrouille, de et avec Bruno Podalydès, avec Sandrine Kiberlain, Daniel Auteuil…
Les Barbares , de Julie Delpy, sortie le 18 septembre.
La Divine, Sarah Bernhardt , de Guillaume Nicloux, sortie le 30 octobre.

Sandrine Kiberlain : «Je n'ai jamais été à l'aise avec les scènes de corps dans les films»

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12 commentaires
  • kouni54

    le

    Ce n’est pas comme Virginie Efira et quelques autres !

  • SYRIO

    le

    Oui, mais quand les scènes de corps permettent de mieux faire le plein dans les Salles, cela arrondit tout de même les fins de mois ! alors, larmes de crocodile, ou non ?

  • Marie-Hélène Lapierre

    le

    Bah alors il faut travailler à la station essence de Paris nord Sortie Villepinte

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